How much you loved, how gently you lived
Quand j'étais jeune et jolie, et insouciante et naïve, et torturée et très névrosée, je me suis mariée et j'ai eu deux enfants. J'avais 25 et 27 ans quand elles sont nées, peut-être pas si jeune, mais très jeune pour moi. Moi, qui étais venue à Bruxelles avec une seule idée, faire le droit et "faire l'Europe", j'ai été entraînée dans ce tourbillon d'amour pour mes filles, ce sentiment dont je ne connaissais même pas l'existence, et je suis devenue en peu de temps incapable même d'envisager de les quitter pour aller travailler.
Quand Bianca avait 8 mois, on m'a proposé de travailler comme assistante parlementaire d'un député italien pour lequel j'avais beaucoup d'admiration. C'était ce que je voulais juste un an avant. C'était la vie que j'avais imaginée. Mais après avoir pleurniché pendant une semaine, et où je mets la petite, et je n'ai pas de crèche, et comment je vais faire: j'ai refusé. L'année d'après, j'étais enceinte d'Asia, j'écrivais des articles pour un journal italien qui me permettait de les signer, moi qui n'avais jamais rien écrit avant. Et puis Asia est née, et de nouveau je me suis sentie incapable de faire autre chose en même temps. En même temps que mes deux filles.
En août 2001 je me suis séparée du père de mes filles. C'est une décision que j'aurais dû prendre, mais j'ai laissé qu'il la prenne avant moi par lâcheté, et par peur aussi, pour les enfants. Je pensais à l'époque que si je le faisais, si je quittais cette personne avec qui la vie était devenue trop difficile, je n'aurais pas supporté de voir mes filles pleurer, d'entendre une petite voix dire "mais où est papa?". Cela me semblait tout simplement au dessus de mes forces. Alors j'ai attendu, et quand lui a pris la décision (mais à ce jour il y a controverse, lui étant persuadé que c'est moi qui l'ai prise, ou du moins que je n'ai pas attendu longtemps pour faire mes valises) je n'ai pleuré que pour ce que je faisais à mes filles. J'ai entrevu les années à venir, la vie qui serait la leur, la douleur qui serait là quoi que nous fassions. Mon amie Debbie se souvient que j'ai pleuré pendant une semaine. Une semaine, et puis on continue.
J'ai loué une petite maison avec les filles, mon père m'a aidée à trouver un travail, je m'occupais des filles et j'avais parfois une sensation de vertige quand j'allais les voir la nuit, endormies: je pensais, ces deux vies, dont je suis responsable, qui ne reposent que sur moi. Je revoyais des amis, je sortais beaucoup le soir, je pensais, la vie me donne une deuxième chance, et j'étais heureuse.
J'en ai les larmes aux yeux, quand je repense à cette période, de nostalgie et de bonheur perdu. Les filles et moi, nous trois, cette vie pleine fatigante heureuse.
Les années suivantes m'ont montré que rien n'est aussi simple. Bien sûr, comme prévu, nous avons fait beaucoup de mal aux filles, bien sûr jeune et un peu irresponsable comme je l'étais, je n'ai pas su voir, je n'ai pas su corriger, j'ai fait de mon mieux mais ce mieux n'a pas toujours été très bon.
J'ai rencontré David peu après et j'y ai vraiment cru, je pouvais être heureuse avec quelqu'un. David a été magnifique avec mes filles, de ces premières années là aussi je garde un souvenir doux. Après, la vie se charge toujours de mettre quelques difficultés sur notre chemin.
David et moi avons eu deux enfants, Ben et Lily. Tout à coup moi, un peu en dilettante et toujours très jeune dans ma tête, je me suis retrouvée avec une famille de 4 enfants - moi qui ai été fille unique, pour ma mère. Elle qui m'expliquait calmement que "d'un enfant, elle pouvait bien s'occuper", mais de plus, non. J'espère que plus tard, mes enfants auront un peu d'indulgence pour moi, qu'ils se diront aussi, elle a fait ce qu'elle a pu, elle a essayé, elle a fait de son mieux.
Autour de moi, aussi, la vie continue. Mes amies se sont mariées et ont divorcé, ou sont restées avec leur mari avec bonheur, ou par obligation, ou pour les enfants. Chacun a choisi sa voix, et portées probablement par nos blessures passées, par nos questions irrésolues, nous avons fait nos choix.
Je me suis souvent demandée, ce qui était le mieux pour nos enfants. J'ai longtemps pensé que malgré tout il doit être plus facile pour un enfant de vivre avec ses deux parents, même s'ils ne s'entendent pas, même s'ils se disputent, même s'ils ne s'aiment plus. Bien sûr, ce n'est pas une situation très saine, loin d'être parfaite, mais mise en balance avec la douleur d'une séparation, quelle différence, c'est incomparable!
Mais aujourd'hui je ne sais plus. Je regarde autour de moi, ce que les unes et les autres ont fait, font en ce moment, j'ai de l'admiration pour leur courage et leur force, que ce soit dans un sens ou dans l'autre. C'est toujours difficile, quoi qu'on fasse. Je n'ai plus de certitudes. Je ne sais plus.
Ce qui restera, c'est "how much we loved, how gently we lived", et pour le reste, nous avons fait de notre mieux.
(Et vous, vous en pensez quoi? )